

08/02/2023
Dans un contexte marqué par le vieillissement démographique, l’allongement de la vie professionnelle , et l’inflation de certains maux liés au travail (en particulier les maladies musculosquelettiques et les risques psychosociaux),la soutenabilité du travail est surtout entendue
Comme la capacité à « tenir en emploi » le plus longtemps possible, en préservant l’efficacité du travail et les conditions physiques du travailleur
Portée par des ergonomes, cette vision liant soutenabilité du travail et conditions de travail a été progressivement élargie à celle de « système de travail soutenable »
Avoir une vision globale de la santé d’un individu en tenant compte de tous les facteurs
susceptibles de l’impacter , nécessite des politiques transversales coordonnées entre : santé publique, santé au travail et santé environnementale qui restent largement à construire.
Cette transversalité se heurte à la réticence légitime des acteurs sectoriels défendant chacun leurs prérogatives
Élargir le périmètre des risques couverts par la santé au travail, alors même que celle-ci doit continuer à traiter d’enjeux spécifiques liés à l’activité professionnelle (maladies professionnelles, exposition à des produits toxiques, accidents du travail, risques psychosociaux liés au travail, etc.) , et qu’elle est déjà confrontée à une pénurie criante de moyens, et de médecins pour accomplir ses missions, c’est lui faire courir un risque de dilution et d’inefficacité
Face à de nombreux défis :
- Un palier atteint dans la fréquence des AT-MP avec notamment une part croissante de troubles musculosquelettiques (TMS) qui représentent 88 % des maladies professionnelles reconnues en 2018 et 30 % des arrêts de travail, en hausse depuis 2008
- Montée de certains risques notamment psychosociaux liés aux modes d’organisation du travail (intensification du travail, changements organisationnels, insécurité
- L’exposition aux produits chimiques reste très importante et les effets combinés de plusieurs agents chimiques, à l’origine de poly-expositions des travailleurs, ne sont pas suffisamment pris en compte
- Impact croissant de pathologies incapacitantes type cancers extraprofessionnels ou maladies chroniques (diabète, maladies cardiovasculaires, respiratoires, etc.)
- Prégnance des inégalités sociales de santé fortement liées aux conditions de travail
La santé au travail, historiquement construite sur une approche réparatrice des risques (système de financement et de responsabilité des employeurs), éprouve des difficultés récurrentes à faire de la prévention des risques
Des risques d’insoutenabilités liés aux mutations du travail et de l’emploi :
Certaines mutations organisationnelles et technologiques engendrent des risques de dégradation des conditions de travail susceptibles d’affecter le bien-être, et la santé des travailleurs.
Le développement de formes atypiques d’emploi (intérim, contrats très courts, travail via des plateformes) mais également les évolutions du travail (horaires atypiques et fragmentés, travail à distance, etc.) ont fragilisé les collectifs et accru l’isolement des salariés.
La relation de travail et les conditions de son exercice s’en trouvent transformées, avec des effets notables sur la santé physique et mentale des travailleurs
Des difficultés intrinsèques.
- Difficultés de gouvernance :
La multitude d’acteurs se traduit notamment du côté des pouvoirs publics par de nombreux plans et stratégies qui traitent des questions de santé , sans être suffisamment coordonnés et sans véritablement articuler la santé au travail avec les autres dimensions de la santé en général.( ce que relevait le rapport Lecoq)
- . Difficultés de moyens financiers et humains :
La question des moyens alloués à la politique de santé au travail est régulièrement rappelée, quand il s’agit d’intégrer de nouveaux risques dans le champ de la prévention en entreprise ;il existe une pénurie criante de moyens en santé travail et de médecins pour accomplir ces missions
- . Difficultés de suivi :
La difficulté commune aux différents plans santé travail est les rendre opérationnels et effectifs, ce qui outre la question des moyens , pose celle du manque d’indicateurs de suivi, comme le souligne le bilan du PST 3
- Impact des risques environnementaux sur la santé des travailleurs :
Dans son rapport de 2018, l’Anses conclut que « le changement climatique entraîne une augmentation des risques professionnels, autant en matière de prévalence, de distribution que de gravité »
Trois mutations environnementales engendrées par ce changement sont en cause :
- La hausse des températures (perturbations physiologiques accentuant les risques professionnels, troubles neuropsychologiques tels que la baisse de la vigilance, risques psychosociaux)
- L’évolution de l’environnement biologique et chimique (exposition à des risques biologiques et chimiques)
- L’accentuation des aléas climatiques (augmentation des risques professionnels).
La crise que nous venons de connaître avec le Covid a mis en évidence les impacts d’un tel risque sur le travail tout comme la responsabilité de l’employeur dans leur prise en charge, alors même qu’il s’agit d’un risque externe à l’entreprise
Plus généralement, les zoonoses professionnelles( infections d’origine animale transmises dans le cadre du travail ) risquent de s’accroître avec la chute de la biodiversité et la dégradation de l’environnement:
L’Organisation internationale du travail (OIT) et l’OCDE ont conduit plusieurs études pour estimer l’impact de la pollution atmosphérique, de la canicule ou de la crise sanitaire sur la santé humaine et in fine sur la productivité et les jours de travail perdus, notamment dans les secteurs de la construction, et de l’agriculture
Si la législation prend davantage en compte le risque thermique ces dernières années (depuis 2008, l’employeur est tenu d’établir un DUERP incluant les fortes chaleurs), les textes laissent une grande marge d’interprétation aux employeurs.
Aucun texte ne précise par exemple la température maximale devant être supportée par les salariés.
- La difficile prise en compte des facteurs de risque transversaux dans les politiques de santé au travail
La politique de santé au travail a progressivement intégré certains de ces risques externes (ou en partie externes), par exemple via des programmes de lutte contre les addictions ou de promotion de l’activité physique.
Le constat du caractère multifactoriel des conduites addictives et les recherches démontrent que le travail, l’environnement au travail, jouent un rôle dans le processus des conduites addictives de même que l’environnement social, familial, amical, etc.
L’usage des substances psychoactives est même considéré comme une ressource pour le salarié.
Il lui permet de réaliser son travail dans un environnement d’intensification du travail, de souffrance, problèmes de management, objectifs de performance forçant le dopage.
On est loin d’une approche individuelle mettant en cause le salarié. »
Cette extension de périmètre s’ accompagne d’interrogations récurrentes sur le rôle et la responsabilité des employeurs, d’autant plus pressantes , que sont mises en jeu aussi la liberté individuelle des travailleurs , et la protection de leur vie privée.
Faut-il inciter ou obliger ? Ces actions doivent-elles être déployées sur le temps de travail ? Quel rôle pour les médecins du travail ? Qui doit, in fine, financer ces actions ?
On ne peut plus se contenter d’aborder la santé/sécurité sous l’angle des risques en entreprise.
La santé s’invite dans l’entreprise, qu’on le veuille ou non ; l’entreprise ne peut pas ignorer le problème et doit s’intéresser à ces sujets.
Pour appréhender les interactions entre santé au travail et santé globale , la santé du travailleur ne peut pas être appréhendée à un moment T, à partir de son seul poste de travail
Le concept d’exposome ( poly expositions) peut permettre d’élargir la focale en prenant en compte la santé d’un individu , tout au long de son existence , mais aussi toutes les expositions environnementales subies au cours de sa vie, y compris les facteurs professionnels, et ceux liés au mode de vie.
Appliqué en santé au travail, ce concept incite à considérer tous les types d’expositions à des risques physiques mais aussi plus largement les enjeux de santé mentale.
Le terme d’exposome est mentionné dans le Plan santé au travail 3, qui affiche une volonté de « dépasser une approche segmentée des risques » mais sans y parvenir opérationnellement.
Extrait du bilan du PST 3 : « En dépit de la richesse des actions conduites par les acteurs de la santé publique et de la santé au travail, également déclinées sur le terrain, la connaissance réciproque des objectifs et des missions des différents acteurs demeure partielle et les partenariats insuffisamment développés. »
Le bénéfice d’un investissement dans la prévention aujourd’hui ne se révélera que demain.
Il y a une nécessité de développer la capacité à se projeter dans l’avenir , et à agir pour la santé de demain ; ce n’est pas un concept encore très pris en compte.
- Refondre les approches de la santé au travail :Anticiper.
Intégrer les enjeux de long terme, miser sur la prévention des risques
La prévention en santé au travail peut s’appuyer sur une définition qui repose sur neuf principes généraux issus de la directive européenne de 1989 et transposés dans l’article L. 4121-2 du code du travail, principes qui sont à la main du chef d’entreprise et sous sa responsabilité.
Si cette orientation est unanimement revendiquée dans tous les programmes de santé et par tous les acteurs, elle peine à se déployer dans les faits
Dans le cas des pratiques addictives au travail, par exemple, on est passé d’une approche fondée sur la sécurité (dépistage, contrôle des consommations, règlement intérieur, solutions individuelles pour les salariés, renvoi sur le médecin du travail, sanctions, etc.) , à une double approche de prévention collective , et de protection globale de la santé, en s’appuyant sur les résultats de la recherche et des expertises qui montrent le caractère multifactoriel des conduites addictives
Anticiper les risques émergents, leurs interactions, rendre visibles les coûts et les bénéfices de leur prise en charge.
Comme pour la pénibilité au travail, il est difficile pour les entreprises et les pouvoirs publics de prendre en compte des risques possibles ou controversés dont les effets ne se feront parfois ressentir que sur le moyen ou le long terme
Quels défis pour une politique de santé au travail plus soutenable ? Cahiers des Soutenabilités