
09/03/2023
Un collectif rassemblant les responsables de la Société française de santé au travail , et du Collège des enseignants hospitaliers et universitaires de médecine du travail , souligne dans une tribune au « Monde » à quel point la réforme des retraites prend trop peu en
compte les risques professionnels.
Les signataires de la tribune :
Pascal Andujar, professeur des universités – praticien hospitalier (PUPH) et président du Collège des enseignants hospitaliers et universitaires de médecine dutravail (CEHUMT) Patrick Brochard, PUPH et ancien président de la Société française de santé au travail (SFST) Alexis Descatha, PUPH et rédacteur en chef des Archives des maladies professionnelles et de l’environnement Sophie Fantoni Quinton, PUPH et présidente de la SFST Jean-François Géhanno, PUPH et ancien président du CEHUMT et de la SFST Claude Pairon PUPH et président du Conseil scientifique de la SFST
La pénibilité de certains métiers et postes de travail, cumulée au fil de la carrière professionnelle contribue indéniablement à ces différences
Elle avait un temps paru être partiellement prise en compte, lors de la création du compte pénibilité en 2014, mais la suppression de certains facteurs de risque professionnels, lors du passage du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) , au compte professionnel de prévention (C2P) en 2017, a constitué un grave recul par rapport à cette avancée sociale .
Ce retour en arrière fut particulièrement injuste ( en plus d’aboutir à un dispositif très faiblement utilisé, comme le dénonce la cour des comptes) , car ce différentiel d’espérance de vie, a un puissant effet anti redistributif
En effet ces travailleurs qui ont cotisé , à la sécurité sociale , pendant toute leur carrière, profitent d’une retraite plus courte que les cadres et professions intermédiaires, retraite de surcroît souvent affectée de problèmes de santé invalidants
Non conforme à la prévention des risques professionnels :
Depuis 2017, quatre des dix critères initiaux ont été supprimés : port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition aux agents chimiques dangereux, sans qu’il ne soit envisagé de les réintroduire , dans le volet prévention de l’actuel projet de loi sur la retraite , alors même qu’ils sont des facteurs d’usure prématurée de l’organisme reconnus.
La suppression de ces facteurs , avait été argumentée par la trop grande complexité, pour les entreprises, des indicateurs de mesure de ces quatre facteurs de pénibilité.
Elle poursuit ainsi le mouvement initié en 2017 lorsque quatre critères de pénibilité sur dix avaient été supprimés
Des solutions avaient pourtant été proposées par les professionnels de santé au travail.
L’évaluation individuelle de la pénibilité des postes , aurait même pu constituer une incitation à la prévention et à l’amélioration des conditions de travail.
L’approche proposée dans la loi retraite est , à la fois restrictive ,et non conforme aux principes généraux de prévention des risques professionnels
- Restrictive, car plusieurs facteurs de pénibilité avérés manquent, notamment ceux préalablement mentionnés.
- Non conforme, car contraire au principe fondamental de la prévention des risques qui enjoint de supprimer , ou réduire les risques plutôt que de compter les victimes a posteriori.
La Loi retraite ne propose aucune mesure pour prévenir ces risques en amont des pathologies , et le volet prévention de ce projet de texte est très sommaire.
Les services de prévention et de santé au travail y sont trop tardivement impliqués, avec pour mission d’orienter les individus , ayant un état de santé suffisamment altéré , vers une retraite anticipée.
Identifier le plus précocement possible les facteurs de risque professionnels d’altération de la santé (terme à préférer d’ailleurs à celui de « pénibilité »), les supprimer ou, à défaut, les réduire doit constituer l’objectif premier.
La traçabilité individuelle des expositions professionnelles :
Pour les expositions qui n’ont pu être évitées, il est indispensable d’identifier précocement les sujets , qui y sont (ou y ont été) soumis car, les effets des expositions pouvant être différés, ils risquent de subir une altération de la santé , et de la qualité de vie à la retraite.
Dans une perspective de justice sociale, cette espérance de vie en bonne santé , devrait être prise en considération pour l’ouverture des droits à la retraite.
Cette identification repose sur la traçabilité individuelle des expositions professionnelles, qui devrait être réalisée au fur et à mesure de la carrière, si ce n’est par l’employeur, avec le concours actif des services de santé au travail.
C’est encore insuffisamment le cas , et il faut alors se contenter d’une évaluation rétrospective, et souvent collective.
L’approche par branche professionnelle (ou par secteur), par activités (ou procédés) prend alors toute sa place mais elle reste largement à construire
Il faut ainsi de façon urgente développer les analyses permettant de connaître, au-delà des liens généraux déjà établis entre catégorie socioprofessionnelle et espérance de vie en bonne santé, ceux qui existent plus précisément entre certaines nuisances professionnelles et l’espérance de vie en bonne santé après la retraite.
Seules ces démarches marqueront un pas décisif vers une meilleure prévention , et une plus juste compensation des pénibilités subies pendant la vie professionnelle