
22/01/2023
Parce que les TPE sont structurellement vulnérables aux aléas économiques , et au manque de personnel, les travailleurs, dirigeants veillent à être présents malgré ce que leur corps et les institutions médicales peuvent leur indiquer
- Parce que les travailleurs des TPE savent que l’absence nuit à l’entreprise, à l’organisation du travail, à la qualité du service, aux collègues, au patron/aux salariés voire aux clients ; ils se sentent , et se rendent indispensables par leur présence à toutes épreuves ; ce faisant, ils mettent entre parenthèses leur santé physique mais en tirent des bénéfices en terme de santé mentale, d’abord par la satisfaction symbolique d’être un bon professionnel ,mais aussi parce que cela contribue à construire un collectif de travail soudé, où la bonne ambiance et l’entraide règnent souvent
- Pour les patrons des TPE, une lutte symbolique oppose concepteurs et producteurs du travail, décrivant un “nous” aux prises avec les contraintes “profondes” et impénétrables du métier. (…) et un “eux” désignant des institutions, supposées peu aux faits de leur réalité de travail,
- Dans les TPE, la protection de la santé repose assez peu sur des dispositifs de prévention institués.
La proportion de salariés déclarant avoir reçu des informations ou avoir bénéficié de dispositifs de prévention décroît à mesure que la taille de l’établissement se réduit.
- 19% des salariés du bâtiment (entreprise de moins de 10 salariés) : indiquent qu’une intervention d’IPRP ou d’autres consultants a eu lieu , dans les douze derniers mois.
- 40% des salariés d’entreprise de moins de 10 salariés du bâtiment, dit avoir reçu une information sur les risques que leur travail fait courir à leur santé ou leur sécurité dans les 12 derniers mois
- 29% des salariés du bâtiment déclarent avoir suivi une formation sur la sécurité dispensée par l’entreprise La prévention dans les entreprises passe également par la mise à dispositions d’équipements de protection collective (EPC),et d’équipements de protection individuelle (EPI)
Concernant l’exposition aux cancérogènes, une étude de la DARES montre que 34 % des salariés des TPE exposés n’ont ni EPC ni EPI , contre 24 % des salariés des établissements de plus de 200 salariés
Il existe des douleurs physiques “normales” propres à chaque métier, qui sont acceptées implicitement voire explicitement , et qui vont de pair avec l’acceptation de risques constitués en composante identitaire du métier.
Le silence s’impose sur les maux du corps, tout comme on l’impose au corps (ne pas se plaindre, endurer) car il en va , de sa reconnaissance comme un bon professionnel.
Ces douleurs, induites par la nature de l’activité et liés à des gestes consubstantiels de cette activité (porter, piétiner, marcher, servir… , sont perçues par “nature” incompressibles et insolubles dans l’exercice du métier.
- Les petits bobos, on ne s’en occupe même pas ; on a mal au genou, à la cuisse, au crâne, au ventre » (patron, 35 ans, bâtiment)
- Ainsi, parfois l’indifférence au mal confine à l’omission des troubles comme dans le cas (d’un ouvrier du bâtiment de TPE) qui indique n’avoir rien à dire coté santé, tandis que son collègue le reprend en indiquant qu’il a perdu un doigt sur un chantier, a fait des malaises à la suite d’une chute, s’est électrocuté, etc.
- Une socialisation professionnelle tournée vers l’acceptation des risques et de la douleur “On s’abîme, c’est le métier qui veut ça, on ne peut pas se permettre de s’arrêter»
C’est au nom de cette virilité, que la prise de risque est valorisée, notamment dans le bâtiment : on ne ménage pas son corps, on ne s’arrête pas, on ne se plaint pas trop, au risque d’être remis en place voire moqué.
L’endurance est un moyen de montrer que l’on est fort, voire le plus fort, d’où potentiellement une sous-utilisation de certains dispositifs de sécurité.
Les contraintes du métier et ses effets sur le corps , sont en partie absorbées par les satisfactions retirées dans le travail.
Dans une entreprise de maçonnerie tous soulignent que le métier de maçon
est un « métier dur » physiquement.Tous souffrent également de divers maux et pathologies concentrés autour du dos induits par les postures de travail (travail penché, accroupi) et le port de charges lourdes.
Bien que ces problèmes constituent la principale source d’inquiétude vis-à-vis de l’avenir, en raison de l’amour du métier, parce qu’ils se sentent bien dans cette entreprise, mais aussi parce qu’ils ne sauraient pas « quoi faire d’autre », ils n’envisagent pas de changer de métier.
Dans le cas où il serait forcé de changer de métier, il serait en revanche très affecté :« inapte au travail du jour au lendemain, tu n’es pas préparé, là en revanche, niveau moral t’y es plus »
La passion, la « liberté » associée aux métiers, et au fait de travailler dans un petit établissement, semble primer sur la santé physique, mais est bénéfique sur la santé mentale, et encore une fois pour la stabilité économique de l’entreprise.
- Les patrons sont plus diserts sur les enjeux de santé mentale (qu’ils verbalisent en parlant de “stress”, « pression », « fatigue »).
Ce “stress” est vécu comme coûteux pour la santé ; pour autant, ils semblent plutôt enclins à négliger la prise en charge de ces troubles , ou du moins à cantonner leur régulation à des consommations de psychotropes (en particulier pour régler des problèmes de sommeil) , ou des consommations à risque (alcool, tabac, cannabis)
- Les salariés du bâtiment semblent parfaitement étrangers aux problèmes de santé mentale, tout se passant comme si, déjà saturés de risques physiques, ils ne pouvaient en plus, devoir faire face à des problématiques supplémentaires.
Cette lecture dénie toute possibilité de prise de conscience , et donc de prise en charge de ce type de problème
Les salariés qui déclarent ne pas être concernés par des troubles de santé mentale semblent plus que les autres évoluer dans des collectifs de travail soudés et solidaires
D’une manière générale, les TPE semblent offrir aux travailleurs , davantage de souplesse pour concilier vie professionnelle et vie personnelle, ce qui est bénéfique à leur santé mentale.
- Les stratégies d’évitement mobilisées par les travailleurs des TPE, si elles s’effectuent principalement au bénéfice des entreprises, des collectifs de travail et de la santé mentale , ont toutefois des impacts privés ,qui se traduisent par une santé physique dégradée
Ce comportement résigné voire passif , semble particulièrement prégnant chez les salariés qui, dépourvus de ressources scolaires ou économiques, ne possèdent pas de perspectives de sortie du secteur , ou de stratégie de reconversion, ou s’ils en ont, semblent inaccessibles
La santé passe au second plan derrière l’emploi, et ce d’autant plus que leur santé défaillante , fragilise leur possibilité d’intégration professionnelle, raison de plus pour tenir dans ce poste.
Sans dire qu’ils ou elles restent nécessairement passifs, ou passives vis-à-vis de leur santé, se maintenir en activité professionnelle et garder leur emploi est prioritaire, et ce malgré un risque d’usure prématurée tant la santé est exposée